le visiteur de prison est assis, chez lui, souriant
SOCIÉTÉ

Portrait. La gueule d’ange au chevet des oubliés

Visiteur de prison à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc, Benoît Thoraval est le premier maillon d’une longue chaîne vers la réinsertion sociale.

« Il y a des gens bien en prison », clame l’homme aux cheveux poivre et sel. Les prisonniers, Benoît Thoraval les côtoie tous les mardis après-midi à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc. Depuis 2017, le sexagénaire est membre de l’Association des visiteurs de prison des Côtes-d’Armor. Son rôle : « Passer un moment humain avec les écartés de la société »

Les maisons d’arrêt, conçues pour les détentions de courte durée, moins de deux ans, ou les détentions provisoires, proposent, à la demande des détenu·es, de rencontrer ces bénévoles. En accord avec les agents du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), ils tendent une main, humblement. « On parle du quotidien, de la mer… et même des femmes, sourit Benoît, derrière ses lunettes. L’être humain ne se résume pas à l’acte commis. »

Benoît, un des huit visiteurs de prison des Côtes-d’Armor, a accompagné près de 500 détenus à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc. | Photo M.M

Une oreille souriante

Entre le détenu et le visiteur, la confiance est essentielle. L’administration carcérale déconseille d’évoquer sa vie personnelle. Pourtant, cet ancien pilote d’hélicoptère dans l’armée outrepasse cette indication et rigole de sa vie passée avec ses visités. « Certains me demandent quand est-ce que je vais les libérer en hélico au milieu de la cour », s’amuse-t-il.

 

Selon lui, aucun sujet ne doit être tabou. Encore moins en prison. « Il faut être courageux pour se livrer à un inconnu », reconnaît Benoît d’un air admiratif. Un simple rire est déjà une victoire pour entrevoir la réinsertion sociale. Confidentialité oblige, leurs discussions ne s’échappent pas des murs de la maison d’arrêt.

Un passage vers un monde perdu

La case prison rime avec privation. Mais le box avocat, où est préparée habituellement la défense, se transforme en zone libre en compagnie du visiteur. Premier pas vers la liberté : lors de ces rencontres, le prisonnier n’est pas menotté. Benoît fait partie des rares personnes qu’ils voient en dehors des surveillants. L’homme à la gueule d’ange, au sourire éclatant, le leur rend bien.

« Je fais en sorte de rentrer en premier dans la salle, comme ça ils ouvrent et ferment la porte », explique fièrement le Louannecain.

Poser sa main sur une poignée est anodin, mais il permet aux « citoyens détenus » de retrouver les gestes quotidiens. Avec le premier confinement, il a fallu se réinventer. Cette fois, c’est un geste oublié qu’il a fallu se réapproprier : prendre la plume pour s’écrire, à défaut de se voir. Une épreuve pour certains. Le retour, physique, de Benoît a été un soulagement pour les détenus, peu importe la plaque de plexiglas qui les sépare.

Plus qu’un « don contre don », cette relation laisse percevoir à ces enfermés un passage vers la société, perdue de vue.

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Pôle emploi en prison, une relation pérenne

Depuis 1993, l’administration pénitentiaire travaille en partenariat avec Pôle Emploi pour la réinsertion de détenu·es. Sandrine Devrand est conseillère justice depuis sept ans à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc. Tous les lundis, elle reçoit les détenus en entretien et contacte les centres de formation. 

Les prisonniers se tournent le plus souvent vers des métiers manuels. Maçonnerie, hôtellerie/restauration, bâtiment, travaux publics… « Une entreprise est venue pour recruter directement en prison », indique Sandrine Devrand. Bien qu’elle conseille les détenus pour les aider dans leur réinsertion, leur casier judiciaire ne les aide pas. 

Il existe une liste de métiers dits « réglementés » auxquels ils n’ont déjà pas d’accès. « Il est impossible pour eux de devenir agent de sécurité ou de travailler dans l’animation », prévient-elle. Maintenant, son rôle sera les réorienter vers un emploi « normal » et « légal ». Loin de l’assistanat, la conseillère prône le volontariat. « Je ne suis pas à leur service, je leur rends service. » 

Avec un taux de 60 % de récidive, la France échoue-t-elle à sa mission de réinsertion ? Les citoyen·nes détenu·es sont-iels vraiment préparé·es à (re)vivre dans la cité ? Cyrielle Robert, attachée de presse de Pôle Emploi Bretagne, ne souhaite pas commenter ce chiffre. À Lannion, il n’existe pas de conseiller·ère justice comme Sandrine Devrand.

État des lieux de la maison d'arrêt
de Saint-Brieuc

  • Date de mise en service : 1914 
  • Seul établissement pénitencier des Côtes-d’Armor (22) 
  • Réservée aux hommes 
  • 85 places disponibles
  • 120 personnes hébergées (chiffre du 1er janvier 2021, observatoire international des prisons) 
  • Surpopulation = 141%
  • Condamnée en 2014 par l’État français pour « atteinte au respect de la dignité » des condition de la détention. 

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