TRAVAIL

Dans l’ESAT de Tréguier, l’intégration par le travail à l’épreuve de la réalité

Dans l’Établissement ou service d’aide par le travail (ESAT) de Tréguier, 132  travailleur·euses handicapé·es sont à l’œuvre dans un environnement adapté. La volonté des pouvoirs publics de les lancer dans des entreprises plus communes ne convainc pas éducateur·ices et salarié·es.

Des travailleur·euses s’activent dans un atelier d’une centaine de mètres carrés, éclairé par des néons. Un brouhaha de discussions et de bruits de machines mêlés est en partie couvert par des enceintes qui diffusent de la musique pop. L’ESAT de Tréguier, à quelques minutes au sud du centre de la ville, fait travailler 132 personnes en situation de handicap, la majorité atteinte de déficience intellectuelle. Les ouvrier·es sont chargé·es de l’assemblage final de petites pièces, des tâches minutieuses et répétitives. Magnets à l’effigie de régions qui finissent sur les réfrigérateurs, couvertures de livres ou encore boîtiers de rangement de fibre optique y sont fabriqués.

Dans un coin de l’atelier, un homme d’une trentaine d’années aux cheveux grisonnants, est concentré sur sa tâche. Il doit assembler deux pièces d’un magnet aux couleurs de la Bretagne, puis coller une étiquette avec précision. Devant lui, une pile de pièces détachées se dresse, comme un indicateur de ce qui lui reste à faire. Maxime est porteur d’un handicap mental. Après avoir travaillé en tant que jardinier pour cet ESAT, il intègre l’atelier « sous-traitance » en 2018. « Je préfère rester ici pour l’instant, je ne me vois pas aller dans une entreprise privée mais peut-être changer d’ESAT dans quelques années », explique Maxime. « J’ai quand même attendu beaucoup de temps avant d’avoir ce poste », ajoute-t-il, content d’avoir pu trouver « un accompagnement et des amis ».

« C’est une fierté d’avoir un travail »

Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée du handicap, a lancé courant janvier une discussion avec les acteurs du milieu autour de la transformation du modèle des ESAT. Elle entend notamment répondre à « l’aspiration des personnes à s’inscrire dans un parcours personnalisé vers l’emploi» et faire travailler les personnes porteuses de handicaps dans des entreprise dites «classiques». Pour la membre du gouvernement, ce changement doit pouvoir se faire « avec un droit aux allers retours entre les milieux dits ordinaire, adapté et protégé ». « Cette démarche vise également à aider les professionnels dans l’accompagnement de nouveaux profils de travailleurs, notamment dans le champ du handicap psychique », ajoute Sophie Cluzel, par ailleurs mère d’une fille handicapée.

Intégrer des entreprises plus communes à moyen ou long terme est déjà inscrit dans les missions des ESAT. « Il y a des objectifs qui peuvent être fixés [par l’État] mais il y a le principe de réalité aussi », tempère Jean-François Couraud, directeur adjoint de l’ESATCO de Tréguier. Il ajoute : « On voit que le milieu ordinaire n’est pas aussi prévenant ». Pour lui, le problème n’est pas forcément de l’ordre des compétences mais, ce qui pourrait manquer, « c’est l’accompagnement social qui est dispensé à côté de l’accompagnement professionnel ».

L’ESAT de Tréguier fait travailler 123 personnes en situation de handicap | MANUEL MAGREZ

Les attentes trop ambitieuses de l’État

Le constat dressé par les éducateurs et la direction de l’ESATco de Tréguier est largement partagé en France. En 2014 déjà, le sénateur Éric Bocquet (PCF) écrivait dans un rapport qu’une « grande part des adultes handicapés accueillis ont une capacité de travail qui ne permet pas d’envisager de sortir vers le milieu ordinaire ». En 2013, l’État avait pour objectif de lancer 13% des pensionnaires d’ESAT en milieu professionnel ordinaire. Mais dans la réalité, ce taux n’a atteint que 8,4% en France, selon le projet de loi de finance de 2015. « Depuis que je suis ici, c’est une minorité qui sont entrés dans le monde professionnel ordinaire », souligne Jean-François Couraud, qui arrive à compter sur les doigts d’une main ces cas d’intégration, qui se sont parfois soldés par un échec. « Il y en a un qui est parti en entreprise ordinaire et qui est revenu », note le responsable, arrivé en 2016 à l’ESAT de Tréguier.

Sur place, Eva n’exclut pas d’évoluer professionnellement mais elle a déjà trouvé sa vocation : la couture. Celle qui se fait un honneur de travailler à la réparation de tenues de pompiers des Côtes-d’Armor est réaliste :  « Maintenant, il y a beaucoup de gens qui ne peuvent pas travailler. C’est une fierté d’avoir un travail », se réjouit celle qui travaillait auparavant dans une blanchisserie adaptée.

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