CULTURE

«On est tous en train de faner : les artistes et le public»

Entre perte de revenus et impossibilité de monter sur scène, les musicien·nes de Lannion veulent que leurs efforts portent leurs fruits. En jeu, la possibilité de se (ré)insérer dans la société, alors que leur art et leur métier sont menacés.

Trois cent soixante-huit jours. Trois cent soixante-huit jours sans concerts, salles, ni public. Il y a un peu plus d’un an, le gouvernement annonçait la fermeture de « tous les lieux recevant du public » et étant « non indispensables à la vie du pays ». Parmi eux, les salles de concert, cafés spectacles et festivals de musique. Depuis, plus rien, ou presque. Sur le territoire lannionnais, les lieux de culture sont désespérément vides. Au Pixie, les applaudissements et vivats du public ne sont plus qu’un lointain souvenir. Idem pour les bars du centre-ville, dont les concerts rythmaient auparavant les nuits étudiantes.

« On est tous en train de faner : les artistes et le public, constate l’accordéoniste Ronan Bléjean, membre du Syndicat de Bretagne des artistes musiciens (Sbam CGT). Il y a une baisse de moral pour les professionnels du spectacles. Pour d’autres, c’est même la dépression. »

Passer au numérique, une parade bienvenue…

Pour continuer à faire vivre leurs créations artistiques, certain·e·s artistes se tournent désormais vers une diffusion en ligne. Les concerts retransmis en direct sur les réseaux sociaux se sont ainsi multipliés ces derniers mois. DJ sets comme musique traditionnelle… Sociologue et professeur de culture bretonne à l’université de Rennes 2, Ronan Le Coadic voit dans cette situation une opportunité de création pour les artistes : « Peut-être que le monde de la culture arrivera à s’enrichir. »

Le chanteur et saxophoniste Gildas Le Buhé s’est quant à lui essayé à diffuser un concert en ligne. « Avec le groupe, on s’est dit “Ben tiens, il faudrait continuer à faire de l’actu”, donc on a donné rendez-vous aux gens sur Internet pour nous voir. » Une initiative qui implique une surcharge de travail : lumières, son et caméra doivent en effet être gérés directement par les musiciens pendant la performance. « C’était pas évident », se souvient Gildas Le Buhé.

… mais relative

Cette parade trouve vite ses limites. « Certains musiciens réclament à corps et à cris de retrouver un lien physique avec leurs publics », explique le syndicaliste Ronan Bléjean. Ronan Le Coadic parle quant à lui d’une « épreuve » subie par les artistes, qui jouent en réalité seuls devant leur écran. Un constat partagé par Gildas Le Buhé : « Le retour que cette expérience offre est nul, super nul. Ce qui est important, c’est le côté vivant : on parle de spectacle vivant, de musique vivante. »

Amer, le musicien breton regrette l’absence d’échange imposée par écrans interposés. Le groupe a eu quelques retours positifs mais il s’est très vite aperçu que cette initiative touchait un cercle restreint. Et Gildas Le Buhé de poursuivre : « C’est pas avec ça qu’on peut continuer à travailler, c’est pas possible. Le pire des problèmes, c’est encore une fois cette relation directe avec les gens. Elle ne peut pas passer par la mécanique, par l’informatique. »

Survivre et se (ré)insérer

« On est en train de travailler sur un dispositif qui s’appelle Ouvrir l’horizon, avec des collectifs, des compagnies artistiques, détaille Ronan Bléjean, du Sbam. Il est déjà effectif en Loire-Atlantique depuis quelques mois. » Des associations, regroupements d’habitant·es ou encore structures culturelles pourraient ainsi acheter des productions artistiques. Le dispositif permettrait à des artistes bretons de se produire dans des lieux nouveaux, comme « les rues, les marchés, là où on est peu présent », glisse-t-il.

À Lannion, le calme du Pixie sera bientôt troublé par les riffs de guitare. Le café-spectacles lance un tremplin musical pour les 16-30 ans : en vidéo et sans public. Les groupes lauréats se verront offrir un accompagnement professionnel d’un an et pourront, qui sait, jouer enfin avec du public.

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