La façade du bar le Chapelier, fermé depuis le 28 octobre 2020
JEUNESSE

La fête change de visage

Depuis plus d’un an, la jeunesse réinvente ses rites d’intégration au temps du Covid, entre contraintes et risques de contamination.

Mi-octobre. Les rues sont presque vides. Un verre à la main, des étudiant·es sont prié·es de consommer à l’extérieur des bars. Il n’est pas minuit et un groupe de policiers remonte la rue des Chapeliers, à Lannion. À son passage, les masques sont remontés et le silence se fait. La fête se fige.

Huit mois plus tôt, les corps se serraient pour entrer dans des bars où l’on dansait avec des inconnu·es. Bouteilles et cigarettes passaient de bouche en bouche dans l’agitation d’un jeudi soir à Lannion.

« La fête n’est pas qu’un rassemblement »

À la rentrée 2020, il n’y a pas eu de soirées d’intégration à l’IUT ni à l’Enssat, l’école d’ingénieur·es de Lannion. Pour celles et ceux qui poussent la porte d’une nouvelle école dans une ville inconnue, la fête est un important vecteur de rencontres. « On est presque en fin d’année et je ne connais aucun élève de première année », regrette Donatien Hirel, étudiant en deuxième année de BTS tourisme. Mathieu Dary, étudiant en informatique, résume la situation : « Avant le second confinement, je rencontrais des gens. Depuis, je n’ai pas eu de nouvelles amitiés et j’ai perdu contact avec quelques-uns de mes amis les moins proches, faute d’occasions de se retrouver ».

La disparition des soirées d’intégration, c’est la fin d’un rite de passage. Ces grandes communions festives marquent l’entrée dans une nouvelle vie. « La fête n’est pas qu’un rassemblement », expliquent Caroline Le Roux et Vanessa Billiou, psychologues cliniciennes au centre médico-psychologique pour enfants et adolescents (CMPEA) de Lannion. « C’est un moyen de cultiver un sentiment d’appartenance à un groupe, d’expérimenter les relations aux autres, mais aussi ses propres limites. C’est le moment de questionner son autonomie et de créer sa propre responsabilité en tant qu’adolescent ou jeune adulte. »

La fête est l’un des nombreux temps informels de la socialisation et de la construction identitaire des moins de 25 ans. À l’image de la pause-café en entreprise, c’est l’endroit où les idées fusent, où l’on réinvente le monde. On s’y découvre des passions communes et des amitiés d’un soir ou d’une vie. Certes, depuis un an, les réseaux sociaux permettent de maintenir un contact. Les apéros en visio se sont rapidement intégrés à la routine du confinement. Mais « les réseaux sociaux scénarisent la rencontre et l’échange est souvent moins spontané et beaucoup plus encadré », explique Christophe Marchais-Dion, psychothérapeute dans la région nantaise.

« Chez les adultes, la découverte a déjà été faite »

Le besoin de se rassembler reste vital. La fête s’est déplacée des rues aux appartements ; elle s’est réinventée entre quatre murs. « On observe des comportements un peu rebelles, des jeunes qui bravent l’interdit », explique le psychothérapeute. Ce constat mettra des soignants en colère. L’appartement devient l’un des rares lieux où l’on se permet de baisser le masque, d’oser embrasser et même de tomber amoureux·se. « Ces comportements sont à risques mais ils sont importants pour éviter la dépersonnalisation, explique Christophe Marchais- Dion. On a de l’intérêt, de la valeur, uniquement par l’œil de l’autre. Le cloisonnement empêche l’épanouissement. Et l’épanouissement personnel passe par la rencontre d’autres personnes. »

Malgré la menace du virus et celle des contrôles de police, les étudiant·es sont nombreux·ses à se retrouver les un·es chez les autres. « On est en petits groupes. Hier, par exemple, on était sept, parfois on est douze », explique Etienne Le Mée, en première année d’informatique, derrière une table de la cafétéria de l’IUT. Entre cours à distance et soirées plus ou moins confinées, une routine semble s’installer, même si « fête » rime désormais avec contrainte. « On est obligés d’arriver dès 18 h et on doit rester dormir, alors que, dans un bar, on va on vient, il n’y a pas d’heure. Et puis il y a aussi les contrôles de police et le risque de contamination », résume Donatien Hirel, étudiant en BTS tourisme.

Danser la nuit pour oublier la fatigue et les ennuis. Danser sans avoir peur de se toucher. Pour beaucoup, la fête est un exutoire salvateur. « On a besoin de se changer les idées quand on est toute la journée assis face à un ordinateur et qu’on a le sentiment d’être mis à l’écart », justifie Léo Gilbert, 19 ans, étudiant en informatique. Les confinements et couvre-feux successifs touchent toutes les classes d’âge mais « ce sont les jeunes qui ont besoin de davantage de régularité et de contact direct dans les échanges, de toucher, de partager. Chez les adultes, la découverte a déjà été faite », explique Christophe Marchais-Dion.

Gel hydrolacoolique, masques… depuis le début de la pandémie, la fête a une autre saveur. | MANUEL MAGREZ

« Les jeudis soirs n’avaient pas la même saveur » 

Pourtant, « l’été dernier, des choses ont été possibles », assurent Caroline Le Roux et Vanessa Billiou, du CMPEA de Lannion. Comme une respiration en plein Covid, les bars et les restaurants avaient rouvert, jusqu’au reconfinement, le 30 octobre, même si l’ambiance était différente. « Entre le masque, la jauge à l’entrée, la distanciation et les contrôles de police, les jeudis soirs n’avaient pas la même saveur », poursuit Maël Le Put, co-gérant d’un bar devenu muet.

Un silence inhabituel entoure Le Chapelier, dans la rue du même nom. Sa façade sombre reste close depuis la Toussaint. Plus de file d’attente ni de videur. Plus de verres sur les rebords des fenêtres le vendredi matin. En passant, on jette un œil au Chap’ dans l’espoir que bientôt, 19 h sonnera le début de la fête, et plus la fin de la journée.

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